Il y a des mots qui tremblent avant de franchir les lèvres. Et ce 3 décembre 2025, à Thomonde, c’est avec la gorge serrée que Jean Isnac Crispin, ancien maire de Mirebalais, a laissé éclater ce que toute une population retient depuis des mois : un appel à la trêve, un appel à la vie. Devant la foule rassemblée, ses larmes n’étaient pas celles d’un politicien, mais celles d’un père, d’un voisin, d’un fils de la terre qui voit sa ville disparaître sous les flammes et le sang.
Mirebalais n’est plus une ville. C’est une cicatrice ouverte. Depuis mars, elle respire au rythme des rafales, brûle sous les incendies criminels, tremble sous les pas d’hommes qui n’ont plus rien à perdre. Les habitants, eux, n’ont qu’un désir : rentrer chez eux, dormir une nuit entière sans sursauter, revoir leurs enfants jouer sans craindre qu’une balle ne mette fin à leur insouciance. Ils survivent, oui, mais à quel prix ? Sans toit, sans sécurité, sans horizon.
Lorsque Crispin a dit « Nou bouke, nou vle viv », la phrase a traversé la foule comme un souffle d’espoir étouffé. Car ce n’est pas seulement Mirebalais qui suffoque. L’Artibonite s’effrite, le Plateau Central se contracte sous la peur, et partout, les mêmes scènes se répètent : des routes désertées, des familles dispersées, des communautés fragmentées par des groupes armés qui imposent leur loi là où l’État s’est effacé.
Il faut le dire sans détour : cet appel à la coalition Viv Ansanm n’est pas seulement un plaidoyer humanitaire, c’est un acte de désobéissance morale. Crispin ose rappeler que même dans la guerre, il existe une limite — celle où la dignité humaine ne peut plus être piétinée sans que la société ne s’effondre entièrement. Il ne brandit aucune solution miracle, aucune stratégie, aucun grand discours politique. Il brandit simplement sa douleur. Et parfois, c’est là que commence la prise de conscience collective.
Pourtant, la question demeure : qui écoutera ce cri ? Dans les saisons sombres de l’histoire, les appels au cessez-le-feu sont souvent reçus comme des murmures dans une tempête. Mais la voix de Crispin a quelque chose de différent : elle porte la vérité nue d’un homme qui a vu trop de cercueils et trop de maisons en cendres pour continuer à se taire.
On dit que chaque crise révèle ses sentinelles. En brisant le silence, Jean Isnac Crispin n’a peut-être pas arrêté les armes, mais il a rappelé à un pays meurtri qu’il reste encore des voix capables de défendre la vie. Et parfois, dans l’obscurité la plus dense, une seule voix suffit pour rappeler que le jour peut revenir.
Enregistrer un commentaire