La polémique enfle sur les réseaux sociaux haïtiens : faut-il boycotter les artistes jugés trop silencieux face à la crise nationale ? Ce débat, d’apparence culturelle, révèle en réalité une fracture bien plus profonde entre une élite créative souvent critiquée et une population à bout de souffle. Derrière les slogans numériques se cache un malaise collectif, celui d’un peuple qui cherche désespérément à se faire entendre.
Depuis plusieurs semaines, un mouvement virtuel appelle au boycott de certains artistes haïtiens accusés d’indifférence face à la crise humanitaire et sécuritaire. Pour ses initiateurs, le silence des figures publiques équivaut à une trahison morale dans un pays qui s’effondre. Mais pour d’autres, comme l’écrivain et chroniqueur Sanon, cette “révolution numérique” relève davantage d’une colère mal dirigée : « Si l’on veut changer les choses, il faut descendre sur le terrain, pas seulement dénoncer derrière un écran », a-t-il rappelé.
Cette confrontation entre les voix du web et celles du monde artistique met à nu une tension générationnelle et identitaire. D’un côté, une jeunesse connectée qui exige l’engagement public ; de l’autre, des artistes qui revendiquent leur liberté de parole, refusant d’être instrumentalisés par des causes politiques. Ce duel symbolique illustre un fossé croissant entre expression populaire et responsabilité sociale, dans un contexte où chaque mot, chaque silence devient une prise de position.
Au-delà du débat sur le boycott, c’est toute la société haïtienne qui se regarde dans le miroir de ses contradictions. Le besoin d’unité se heurte au réflexe de division, et la quête de justice se noie souvent dans la cacophonie virtuelle. Pendant que les hashtags s’enflamment, les rues, elles, continuent de témoigner de la faim, de la peur et du découragement.
Haïti ne manque pas de voix, mais d’écoute. Peut-être que la vraie révolution commencera le jour où la musique, la parole et la colère marcheront enfin dans le même tempo — celui d’un peuple décidé à se reconstruire, non pas contre ses artistes, mais avec eux.
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